Révision du CDD et de la sous-traitance en Tunisie : un tournant social, mais à quel prix ?

Révision du CDD et de la sous-traitance en Tunisie : un tournant social, mais à quel prix ?

I. Introduction

Dans une décision aussi ambitieuse que controversée, le Parlement tunisien a adopté une réforme majeure du Code du travail, instaurant  la (i) suppression progressive des contrats à durée déterminée (CDD), (ii) la limitation de la période d’essai à six mois renouvelable une seule fois et (iii) l’interdiction de la sous-traitance sous peine de sanctions

Entrée en vigueur le 21 mai 2025, cette loi se présente comme un levier de protection sociale. Pourtant, elle suscite des interrogations profondes sur sa mise en œuvre, son calendrier serré , et les répercussions qu’elle pourrait avoir sur l’ensemble de l’écosystème économique tunisien.


II. Ce que dit la loi : principales dispositions votées

1. Vers la généralisation du CDI : Limitation du recours aux contrats à durée déterminée

Le Contrat à Durée Indéterminée devient la forme d’emploi de référence. Le recours aux CDD est désormais strictement encadré et réservé à des situations précises : surcroît exceptionnel d’activité, remplacement temporaire d’un salarié absent ou l’exécution d’un travail saisonniers

Tout CDD qui ne relève pas de ces exceptions sera automatiquement converti en contrat à durée indéterminée.

Les dispositions de l’article 6 de la réforme sont applicables aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur et toujours en cours d’exécution. Par conséquent, l’ancienneté des salariés totalisée dans le cadre de contrat de travail à durée déterminée sera prise en compte pour la détermination de l’ancienneté global du salarié, à condition que la relation de travail ait été régulière et qu’il n’y ait pas eu de période d’interruption dépassant 1 année continue.

Par ailleurs, la nouvelle réforme de loi a abrogé la disposition de l’article 23 de la loi n° 81-1992 portant création de zones franches économique qui considère les contrats de travail pour les entités établies dans les zones économique franches comme des contrats à durée déterminée quelle que soit leur durée.

2. Limitation de la période d’essai

La durée de la période d’essai prévue dans les contrats de travail en cours conclus avant l’entrée en vigueur de la loi s’applique si elle est inférieure à 6 mois.

Chacune des parties peut mettre fin au contrat avant l’expiration de la période d’essai après avoir informé l’autre partie par lettre recommandée avec accusé de réception ou par tout autre moyen laissant une trace écrite et ce quinze (15) jours avant la fin de la période d’essai.

En cas de résiliation du contrat avant l’expiration de la première ou de la deuxième période d’essai tout nouveau contrat entre les parties sera conclu pour une durée indéterminée et sans période d’essai.

3. Interdiction de la sous-traitance de travail

La sous-traitance de la main-d’œuvre est désormais interdite. Par conséquent, tout contrat ou accord conclu entre un établissement loueur de main-d’œuvre et un établissement bénéficiaire, en vertu duquel la main-d’œuvre est louée et mise à la disposition de l’établissement bénéficiaire, constitue une pratique de sous-traitance illégale.

Le législateur tunisien a accordé un délai de grâce de trois (3) mois aux personnes concernées afin de régulariser leur situation conformément aux dispositions du code du travail. Passé ce délai, toute personne enfreignant cette interdiction sera sanctionnée comme suit :

  • 10 000 dinars pour toute personne physique commettant la sous-traitance illégale de main-d’œuvre;
  • 20 000 dinars pour toute personne morale commettant la sous-traitance illégale de main-d’œuvre ;
  • 10 000 dinars à la charge du représentant légal de l’entité contrevenante, en cas de preuve de son implication.

En cas de récidive, l’auteur du délit, quelle que soit sa qualité, sera puni d’une peine d’emprisonnement de (3) trois à (6) six mois.

En vertu de l’article 8 de la reforme les employés recrutés en sous-traitance seront considérés comme des employés permanents au sein de l’entreprise bénéficiaire à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi.

Dans ce cas l’ancienneté acquise lors de la sous-traitance de la main-d’œuvre sera prise en compte pour déterminer l’ancienneté global de salarié à condition que la relation de travail avec l’entreprise bénéficiaire ait été régulière et n’ait pas été interrompue pendant des périodes excédent 1 année continue.

4. Renforcement des droits des salariés

La réforme entend mettre fin aux enchaînements abusifs de CDD, en garantissant aux travailleurs les mêmes droits que ceux en CDI. Elle vise aussi à améliorer les perspectives de carrière et à renforcer l’accès à la protection sociale.

5. Autres évolutions attendues

Des ajustements sont envisagés sur la santé au travail, les licenciements, les salaires et les congés, dans une logique de cohérence avec les conventions collectives sectorielles et les évolutions technologiques du monde du travail.


III. Un changement brutal dans un tissu fragile ?

La Tunisie, comme de nombreux pays émergents, repose sur un tissu économique dominé par les PME, souvent peu structurées, et des secteurs informels où la sous-traitance est parfois le seul canal d’emploi disponible. L’interdiction soudaine de pratiques aussi enracinées, sans dispositif d’accompagnement transitoire, pourrait produire un effet de déséquilibre.


IV. Une décision socialement motivée, mais économiquement sensible

Le CDD a souvent été utilisé comme une échappatoire au CDI, parfois de manière abusive. Toutefois, il offre aussi une flexibilité nécessaire pour les entreprises en période d’incertitude, notamment pour les jeunes pousses ou les secteurs saisonniers. La sous-traitance, bien qu’imparfaite, permet d’intégrer une main-d’œuvre difficile à embaucher directement, et ce, sans rupture brutale de continuité d’activité.


V. Comment d’autres pays abordent-ils la question ?

Afrique du Sud : Le CDD est limités à 3 mois, sauf justification objective (projet temporaire, remplacement…). Une égalité de traitement est obligatoire entre CDD > 3 mois et CDI équivalents (salaire, avantages). Une indemnité de fin de contrat après 24 mois de CDD continus (1 semaine de salaire/an), sauf si passage en CDI. La sous-traitance est encadrée : responsabilité partagée entre entreprise cliente et prestataire. Le transfert d’activité = transfert automatique des employés avec maintien des droits (section 197 Labour Relations Act (LRA)).

France : Le CDD est strictement encadré, limité dans le temps et dans ses motifs, mais reste un outil légalement reconnu. La sous-traitance est légitime mais réglementée, notamment dans le BTP et les services.

Émirats Arabes Unis : Le modèle repose davantage sur des contrats limités dans le temps (avec renouvellements fréquents), dans un cadre souvent flexible mais strict pour les expatriés. L’IA et le digital RH sont fortement intégrés dans la gestion contractuelle.

États-Unis : L’emploi dit “at-will” donne aux deux parties une grande liberté, mais sans filet de sécurité sociale équivalent. Pas de CDD dans le sens européen, mais une très forte mobilité de l’emploi.

En Chine : le CDI est fortement encouragé et devient obligatoire après deux CDD successifs ou 10 ans d’ancienneté. La sous-traitance est strictement limitée à 10 % de l’effectif et réservée à des fonctions de support, avec une coresponsabilité juridique de l’entreprise utilisatrice. Le cadre légal vise à maintenir un équilibre entre flexibilité économique et stabilité sociale. En résumé : la plupart des économies avancées ne suppriment pas le CDD, elles en encadrent l’usage.


VI.  Comment les entreprises peuvent s’adapter concrètement à ce nouveau cadre légal

Face à la suppression des CDD et à la limitation de la sous-traitance, les entreprises tunisiennes devront passer d’un pilotage par la précarité à un pilotage par la structuration. Voici quelques leviers concrets à activer :


VII. Quel Mindset adopté face à ce changement

Ce changement est une opportunité pour bâtir des entreprises plus justes, plus solides et plus attractives. L’exigence managériale monte, mais les bénéfices à long terme (stabilité, image, productivité) sont significatifs.

À nos collaborateurs, salariés et talents de demain:

 

Aux responsables RH, managers et acteurs des relations humaines

La disparition progressive du CDD et de certaines formes de sous-traitance ne signe pas la fin de la flexibilité, mais le début d’une nouvelle responsabilité. Ce tournant place les RH au cœur du pacte social de demain :

La disparition progressive du CDDet de certaines formes de sous-traitance ne signe pas la fin de la flexibilité, mais le début d’une nouvelle responsabilité. Ce tournant place les RH au cœur du pacte social de demain :

  • Vous ne gérez plus simplement des contrats, mais vous bâtissez des relations de travail durables.
  • Vous ne pilotez plus des effectifs temporaires, mais vous accompagnez des talents dans leur évolution et leur engagement sur le long terme.

VIII. Ce que nous retenons

La réforme tunisienne soulève une véritable question de fond : comment aligner progrès social et viabilité économique ? La révision du régime du CDD peut incarner une volonté louable, mais son efficacité dépendra de l’exécution, de la concertation avec les acteurs de terrain et des outils mis en place pour accompagner ce changement.


Et vous, comment percevez-vous cette réforme ? Votre secteur est-il prêt à s’adapter ? Quelles seraient les conditions nécessaires pour une transition réussie ? Nous sommes à l’écoute des retours du terrain.

 


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